Le voile en débat en Afrique

 

 

Personne n’aurait cru que le débat sur le voile qui a tant agité la société française se poserait un jour en Afrique. Eh bien, la question du voile est au cœur des préoccupations des autorités politiques africaines.

 

Confronté au défi meurtrier de Boko Haram, les gouvernements africains se sont lancés ces jours dans une vague d’interdiction du voile intégrale. Non pas à l’école mais partout ! Les autorités en charge de la sécurité veulent ainsi anéantir les attaques meurtrières de Boko Haram dont le mode opératoire est de jeter en pâture des jeunes filles voilées. Ces dernières dénouent leur ceinture d’explosifs dans les marchés et autres lieux où il y a beaucoup de monde.

« Le port de la burqa, ou tout autre système de port de turban où on ne voit que les yeux (…) est désormais interdit » dans les lieux publics par mesure de sécurité, afin d’éviter la dissimulation d’explosifs, avait annoncé mercredi le Premier ministre Kalzeube Pahimi Deubet.

Le voile intégral qui couvre le visage à l’exception des yeux est relativement courant à N’Djamena depuis quelques années.

Pour Abdelsadick Djidda, instituteur de 45 ans, « le port de la burqa n’est pas propre à la culture tchadienne (…) ça vient d’ailleurs. Et il n’est recommandé nulle part dans le livre saint« , le Coran.

« Moi, en tant que musulman, je trouve que les gens exagèrent un peu avec ce camouflage« , affirme-t-il, estimant que la mesure a été décidée « pour notre sécurité puisque les terroristes peuvent se servir d’une femme habillée en burqa pour commettre des attentats« .

Boko Haram a en effet perpétré de nombreux attentats-suicides au Nigeria voisin depuis six ans, utilisant notamment des femmes kamikazes dissimulant des explosifs sous leurs voiles.

Le gouvernement tchadien a même ordonné aux forces de sécurités « de ramasser toutes les burqas » vendues dans les marchés et « de les brûler ».

Et ceux « qui se hasarderaient à braver la mesure en portant la burqa doivent être arrêtés, jugés et condamnés », a précisé le Premier ministre, demandant aux chefs religieux de relayer le message.

« Le Conseil supérieur des affaires islamiques (du Tchad, CSAI) trouve que la décision du gouvernement n’est pas contraire aux principes de l’islam », juge son influent président, Cheick Hussein Hassan Abakar.

Avec l’expansion de Boko Haram aux portes de N’Djamena, les autorités tchadiennes ont redoublé de vigilance de peur de voir s’implanter un islamisme radical dans la société tchadienne, où les courants wahhabites et salafistes représentent 5 à 10% des musulmans, selon le département d’Etat américain.

Même frayeur en Guinée. Là, des jeunes filles voilées candidates au BEPC se sont vues forcer d’ôter leur voile avant d’entrer en salle d’examen. « Le matin, à la rentrée, les filles n’ont pas voulu ôter leurs voiles, il a fallu l’intervention de Oustaz Tidjane le directeur de l’école qui les a convaincues d’accepter le principe pour la circonstance », a constaté le site guineenews. Contrairement au Tchad, la Guinée n’a pas encore officiellement interdit le port du voile. Mais subrepticement, le Tchad y fait école. Et c’est parti de l’interpellation par les foces de sécurité guinéennes d’un véhicule de Touaregs qui ont réussi à prendre la fuite. Et c’est le chef de l’Etat guinéen lui-même qui est monté au créneau.

Alpha Condé répondait à des questions d’étudiants de l’Université Sonfonia de Conakry. «J’ai dit que le port du voile intégral pose un problème. Quand une personne a son visage masqué, premièrement, on ne sait pas si c’est une femme ou un homme. Deuxièmement,  cette personne peut avoir une arme, une kalachnikov et venir tirer sur les gens, c’est pourquoi j’insiste qu’on réfléchisse sur la question», a-t-il indiqué.

Même s’il précise sur le site Guineenews.com n’avoir jamais interdit le port intégral du voile, Alpha Condé reconnaît que ce voile commence à devenir un danger. «J’ai appris que j’ai interdit le port du voile intégral. Voilà comment on ment en Guinée. Si je veux interdire, je prends un décret. Je suis responsable de la sécurité en Guinée. Le Tchad et le Cameroun ont interdit, ils ont vu des conséquences. C’est pourquoi, je dis de réfléchir pour éviter des guerres de religions. Nous savons très bien qu’en Guinée, il y a des Wahhabites qui sont formés en Arabie Saoudite et il y a beaucoup de problèmes entre les Wahhabites et les autres, mais cela a des soubassements qui ne sont pas toujours clairs et qui cachent parfois une lutte pour le pouvoir. Il faut donc faut être extrêmement prudent sur ces questions», dit-il.  Avant de s’interroger : «Est-ce qu’on va s’asseoir que les gens viennent nous attaquer ? Est-ce qu’on va continuer à s’assoir qu’on ait ce qu’on appelle les cellules dormantes, c’est-à-dire les gens qui sont là avec eux, qui n’arrivent pas et à tout  moment peuvent être réveillés ?».

En tout cas, le débat est là en Afrique. Et personne avant ne pensait qu’il s’inviterait un jour dans nos foyers.

Hamidou Sagna(Afiavimag)

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